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Le vieillissement



Je rêvais d’une vieillesse dynamique. Elle est dynamitée par la maladie et l’évolution irrémissible du handicap. Toutefois, tant de rêves se sont réalisés dans mon existence que je ne ferai pas grief à la vie du chaos de ma vieillesse. D’autant que je suis bien conscient que j’ai une vie exceptionnelle au regard de ce que vivent la majorité de mes congénères. Même ma vieillesse est à bien y regarder plus enviable que la vie de nombre de personnes handicapées en situation de dépendance. Cela n’atténue en rien la pénibilité et la dureté de ce que je vis, cela la relativise quelque peu et montre, s’il en était besoin, qu’il ne faut jamais décontextualiser des situations très spécifiques. Il est donc question ici de mon vécu et de mon ressenti face à mon vieillissement, ce n’est pas une complainte nostalgique, c’est une analyse aussi objective que possible d’un état donné à un moment donné.


Mourir, cela n’est rien./Mourir, la belle affaire !/Mais vieillir, oh, oh vieillir.

Allez savoir pourquoi "Vieillir", sublime chanson de Jacques Brel, me revient ponctuellement en mémoire. Elle me rappelle que je me sens vieilli, ce qui n’avait jamais été le cas auparavant. Dans cette chanson, il a su décrire avec verve et truculences l’implacable déchéance de la vieillesse lorsqu’elle est maladive. Lorsqu’elle n’est plus que décrépitude, mornitude et ingratitude.


Aujourd’hui, le roi est nu, totalement nu, suspendu à des journées répétitives. Il a perdu l’allant, le roi que je fus. Je croupis, désormais je croupis avec philosophie. Aussi sagement que possible. Pourquoi se révolter contre ce qui est puisque c’est irrémissible ? À la déchéance s’ajouterait la nostalgie, voire l’aigreur et les lamentations. C’est-à-dire de l’indignité. Ce qui n’a jamais été ma tasse de thé.

Quel que soit le déroulement du vieillissement, il faut assumer ou se barrer, se carapater par n’importe quel moyen disponible. Or, j’ai toujours relevé les défis et affronté les obstacles et les difficultés qui se présentent à moi. Je ne vais donc pas me dérober maintenant que j’arrive en bout de course. En plus de la dignité, je perdrais ma fierté. Je perdrais surtout mon âme. Ce qui m’est inconcevable, moi qui me suis battu toute ma vie pour la préserver.


Oui, à l’instar de certains handicaps, le vieillissement peut être un avilissement. Pourquoi se voiler la face ? Pour autant, qu’y a-t-il de si glorieux à végéter dans sa moiteur ou sa merde, à décatir en dépérissant, à survivre laborieusement, à cultiver le dolorisme et à se complaire dans le misérabiliste ? Rien. Du moins de mon point de vue. Certes, on s’arrange avec ses stigmates comme on peut mais, en ce qui me concerne, je ne me suis jamais écarté d’une ligne de conduite qui me semble primordiale : ne pas brader ma dignité. Je n’en ai jamais dérogé. Parce que j’ai toujours refusé toute idée de fatalité et d’incapabilité. Et rien n’empêche de rester droit dans sa tête même si son corps est de travers. A fortiori si son corps est de travers. Pourtant tant de personnes sont dans l’incapacité de s’extirper de leur fange quotidienne par manque de tempérament ou de bagages intellectuels.

Bien sûr que ce n’est pas facile, bien sûr qu’il faut s’accrocher, mais dès lors qu’on a la volonté, tout n’est qu’adaptation et renoncement. Car la vie, ce n’est pas une question de courage mais de volonté. Quand on a compris cela, on a compris l’essentiel et on est armé pour faire face aux embûches de l’existence.


Dans mon esprit, vieillir était une sorte d’eldorado à atteindre, d’autant que je n’étais pas censé faire de vieux os. Vieillir était donc, dans mon esprit, une victoire sur la prédestination, en aucun cas une défaite puisque je déjouais les oracles fatalistes et le pessimisme ambiant dans lequel j’ai baigné durant des décennies.

En outre, j’ai à plus forte raison aimé vieillir que ma vie a été une épopée pleine de rebondissements, de vie et d’amours. C’était non seulement un étonnement de prendre de l’âge, imprégné que j’étais par les prédictions funestes de mon enfance, mais également un vrai plaisir. C’était autant un succès sur la fatalité que sur les cassandres compatissants. J’avançai lucidement sans me prendre la tête avec des questions existentielles stériles.


Les trois premières décennies de mon existence terrienne, je fus malingre, chétif et maladif. N’ai-je pas passé plus de huit ans à l’hôpital, parfois entre la vie et la mort ? On était donc compréhensiblement enclin à s’attendre au pire. Surtout que je ne pesais qu’une trentaine de kilos au mieux, en ce temps-là. Puis je me suis progressivement remplumé, tout en conservant un poids plume. Jusqu’à la cinquantaine, je suis resté affreusement maigre et très sédentaire par la force des choses. Je n’en gardais pas moins une fraîcheur de jeune premier qui piaffait dans son box, animé par des ambitions inavouables tant elles étaient utopiquement iconoclastes. Mais des ambitions bien ancrées. Des ambitions irréductibles qui attendaient leur heure. Encore fallait-il vieillir, autrement dit continuer à rester vivant. Ce que je fais apparemment.

Et j’ai vu les jours, les mois, les années défiler, les anniversaires s’amonceler, et mes visées s’affûter. Ce sont mes utopies (réalistes pour moi, irréalistes pour les autres) qui m’ont fait vivre, donc vieillir, tout en rongeant mes freins d’impatience. Il faut des buts dans la vie afin d’avoir envie de vieillir. Mine de rien, je vieillissais mon petit bonhomme de chemin. Je vieillissais même incroyablement bien avec ma pathologie funeste. Je vieillissais sans me sentir vieux. J’avais une pêche d’enfer.

Ainsi arriva l’inattendue, l’inespérée cinquantaine. Avec, dans sa besace, une décennie détonnante et magique. Je dirais même miraculeuse si j’étais dévot. Simultanément, je pris du poids (une vingtaine de kilos) en quelques mois et me découvris une énergie vitale qui semblait inépuisable et invincible. Si les autres, les normaux, commencent normalement à montrer des signes de déclin physiologique, moi, j’avais l’impression de rajeunir durant cette période faste à tous points. Quel pied de nez aux oracles, quelle éclaircie inconcevable, quel impensé insensé ! Certes, par moment, mon corps boita et trébucha, mais c’était insignifiant comparé à ma vie trépidante et fructueuse d’alors.

Hélas, tout a une fin.


C’est presque brutalement que j’ai pris un coup de vieux. Un très grand coup de vieux. Mon corps a commencé à craquer de toutes parts sans crier gare, particulièrement le cœur. Mais les prémices étaient progressivement apparues vers 60 ans. Des petits signes auxquels je n’attachai pas trop d’importance car apparemment négligeables et un peu contrariants. J’y attachais d’autant moins d’importance que j’étais occupé par le tourbillon de la vie. Au surplus, je ne suis pas hypocondriaque, je ne m’appesantis guère sur mes maux. Je fais soigner et j’avance.

Cependant, le handicap et ma réalité contingente et intrinsèque m’ont rattrapé, me remettant dans le droit chemin que je n’avais pas été censé quitter. Non seulement j’ai un handicap, mais, de surcroît, je me sens dorénavant, certains jours, aussi invalide, dans tous les sens du terme. Il en ressort la sensation d’être irrémédiablement vieux. Comme si j’avais vieilli quasi instantanément. C’est un peu rude comme atterrissage mais, tout compte fait, ça me ressemble de passer sans transition d’un état à un autre, d’un mode de vie à un autre, avec ce sens de l’extrémisme et du jusqu’au-boutisme qui me caractérise si bien. Cela explique peut-être ma faculté à faire des deuils sans trop de peine, parce que chaque nouveau virage existentiel nécessite un recentrage et une réadaptation pour être négocié au mieux. Donc autant faire au plus vite et au plus court pour passer à autre chose. En l’espèce, à une autre vie.

Me suis-je brûlé les ailes, à l’instar d’Icare, d’avoir eu les yeux plus gros que le ventre, gourmand invétéré que je suis ? Non, puisque je ne regrette rien. Si je devais recommencer, je referais le même parcours, étant donné qu’on ne fait pas une existence avec des « mais » et des « si ». C’est à prendre ou à laisser, une vie, c’est cash, une vie. C’est facile de voir les « erreurs » après, avec du recul ; des erreurs a fortiori qui n’en sont pas puisqu’on a agi à un moment donné, dans un contexte donné, un état donné et avec des capacités données.

Égrotant et grabataire le plus clair du temps maintenant, j’ai au contraire le sentiment d’avoir su saisir toutes les opportunités qui s’étaient présentées à moi. Tant que j’ai pu, j’ai tracé ma route, j’ai creusé mon sillon entouré d’Éros, Dionysos et Prométhée. Comment regretter d’avoir été moi-même, en accord avec moi jusque dans mes erreurs et d’avoir accompli tant de projets « utopiques » ? C’est impossible. Sauf à être un mauvais perdant. J’ai perdu ma fringance, mon tonus, mon énergie vitale, une grande partie de mon indépendance, de ma liberté de mouvement dans le chaos d’un vieillissement implacable. Néanmoins, je ne me considère pas perdant dans ma balance existentielle.

Assurément, je suis passé du soleil à l’ombre, voire à l’obscurité, et ce n’est pas évident à vivre tous les jours, c’est même quelquefois très déprimant, mais c’est ma vie. Je ne pouvais pas m’imaginer ce qui allait advenir de la fin de mon existence terrestre, je m’attendais toutefois à ce que ce ne soit pas une partie de plaisir.


Je m’attendais à devoir douiller. Et, je ne suis pas déçu. Ma vie ne m’a d’ailleurs jamais déçu, n’ayant jamais fait dans la demi-mesure avec moi, ni moi avec elle. Nous sommes entiers, ma vie et moi, c’est inné et incurable.


Quoi qu’il en soit, il y a vieillir et vieillir. Et je pense que ce n’est pas tant le vieillissement que les conditions dans lesquelles il se déroule que Jacques Brel déplorait, raillait, voire exécrait. Il dénonçait, dans ses ultimes chansons, parmi les plus belles de son répertoire, à mon sens, le modus vivendi que lui imposait alors la maladie fatale qui le rongeait depuis quelques années, jusqu’à la dégradation funeste.

Car il y en a qui vieillissent bien mieux que d’autres. Normal, nous ne sommes pas plus égaux devant la maladie, la mort ou la vie, cette lapalissade est inusable. Il est par conséquent préférable de faire avec ce qui est, de se faire une raison de sa réalité, plutôt que de s’échiner à faire vainement contre ou sans. Il est plus sage de surfer sur les vagues du destin que de l’affronter à contre-sens. C’est ce que je fais, avec des moments de blues ou de spleen.


J’ai longtemps aimé l’idée de vieillir. J’ai même aimé vieillir.

Jusqu’à ce que mon vieillissement tourne en eau de boudin, qu’il soit contrarié par la maladie. Et son florilège d’irrémissibles dégénérescences dégradantes. À moins d’être doloriste et misérabiliste, qui peut raisonnablement aimer survivre, être l’ombre de soi-même, réduit à presque rien comparé à avant ? Mais avant quoi ? D’avoir retrouvé du sens, de s’être fait une raison, de s’être habitué à la nouvelle situation et d’avoir trouvé une forme de stabilité supportable ou acceptable, d’autant qu’il y a l’amour.


Désormais, je me sens et je me sais malade, un vieux malade vieilli subitement. J’étais malade quand je chopais un virus ou un coup de froid. C’étaient des maladies passagères et épisodiques. Avant, lorsque j’étais malade, c’était un mauvais moment à passer, un mal à prendre en patience, le temps de guérir. Ce n’est plus tout à fait ainsi parce qu’il n’est pas question de guérir mon insuffisance cardiaque mais de la stabiliser, en vivant au ralenti et sous médication atomique pour pathologie chronique.

En fait, le handicap est ma croix et l’insuffisance cardiaque les clous. Je finis ma vie en crucifié. Ce qui peut s’interpréter comme une fin glorieuse ou une fin morbide. Plus prosaïquement, une fin de vie pas forcément enviable ni fatalement insurmontable, c’est selon ses convictions religieuses.

Si je ne suis pas étonné par mon apothéose corsée, il n’en demeure pas moins qu’entre la virtualité et la réalité il y a une marge qui n’est guère aisée à franchir. J’ai de tout temps dit qu’il est impossible d’anticiper ses réactions face à un événement traumatique, mon expérience actuelle me conforte dans ce sens, il faut vivre certaines expériences et les éprouver afin de les appréhender concrètement. J’apprends ainsi, péniblement et souvent impatiemment, que, lorsque le corps fait faux bond, il reste le détachement et le renoncement. C’est la seule issue honorable et digne pour trouver encore du sens à son existence, d’après moi.

Se détacher du superflu, du matériel et du temporel, et s’adapter à des contingences dépréciatives, ingrates et austères, autant que frustrantes, ce n’est point une partie de plaisir ni une promenade de santé, c’est un apprentissage tardif, donc plus fastidieux à ingérer. Heureusement, je possédais une certaine expérience en matière d’adaptation à mon compteur. Néanmoins, me retrouver interminablement alité, faisant le moins d’efforts énergivores possibles, ne me douchant que deux ou trois fois par semaine car ce n’est plus le même plaisir qu’auparavant, ce n’est pas facile tous les jours. Comme ce n’est pas facile d’être coincé dans un rythme de vie routinier et un espace de vie restreint, loin de l’agitation sociale. Solitaire, cacochyme et grabataire, tout cela montre combien la vie est une voie pavée d’épreuves. Qui n’obère pas le bonheur. Parce que je suis heureux malgré tout, avec des parenthèses tantôt lumineuses, tantôt mélancoliques et moroses. Le jour où je ne serai plus heureux car la maladie est trop envahissante, ce jour-là je déciderai de tirer ma révérence. Ce n’est pas le cas pour le moment. Pour le moment, il y a des projets et des envies malgré tout.


Mon corps ayant baissé les bras, une page est tournée. Définitivement tournée. Car si le physique ne suit plus, ne répond plus présent, c’est tout un pan de l’existant qui fout le camp dans la mémoire des souvenirs, sans espoir de rémission, encore moins de retour. Ce qui fut ne sera plus et ce qui est est aléatoire et précaire. Cette prise de conscience d’une évolution logique conduit inéluctablement au renoncement. Ou au désespoir si l’on s’appesantit sur son passé et ses regrets, donc à l’enlisement et au dépérissement. Ce qui n’est pas dans ma culture originelle, ni dans mes gènes. Je ne suis pas nostalgique. Tout a une fin.

Je suis sur du sable mouvant mais j’avance. Lentement mais sûrement, j’avance. Vers quoi ? L’inconnu. Toute sa vie, on va vers l’inconnu, l’impensable, l’insoupçonnable et l’indicible. La maladie, certaines maladies, sont taboues. Difficile de ne pas ressentir de la honte dans certaines situations dégradantes et ragoûtantes. Il faut savoir ravaler sa fierté dans certaines circonstances, alors que l’on aimerait s’isoler comme une bête blessée. Je découvre sur le tard les avantages et les inconvénients d’une vie monacale et humble. Je ne dirais pas méditative, à moins que la somnolence soit une forme de méditation du troisième âge ?


Je ne suis plus qu’amour et intellect.

J’écris, j’écris, j’écris. Pour me rendre compte que je ne sais disséquer que mon bagage expérientiel et existentiel. Suis-je égotique ? Ce qui, il faut bien l’admettre, n’a rien de louangeur. Ou suis-je dans une catharsis permanente ? M’inspirant de mon vécu pour explorer les arcanes de la vie et donner du sens à la mienne. Encore et toujours, et pour l’éternité, me réconcilier avec l’existence et moi-même ?

Ici, c’est l’intellect qui s’exprime tout en s’analysant et en s’interrogeant sur sa finalité. Suis-je un Docteur « M’abuse » ou plutôt un condensé de Docteur Jekyll et Mister Hyde ?

Je m’autopsie continûment. Non sans une certaine délectation. Me mettre à nu est une seconde nature chez moi, que mon vieillissement prématuré et accéléré a ravivé. Si le physique a morflé, par ricochets, l’intellect n’est pas non plus épargné par les ravages du temps. On nomme cela des effets secondaires. Il a quotidiennement des coups de mou ponctuels, aussi inopinés qu’inflexibles, me plongeant dans des micro-endormissements. Impossible de mettre un mot devant l’autre durant ces absences rédhibitoires et éphémères, sorte de suspensions de séance d’écriture. En fait, je commence par comater quelques instants, luttant pitoyablement contre l’assoupissement, avant d’être englouti par un sommeil glouton, pour émerger vaseux quelques minutes plus tard et reprendre pied. Partant, j’écris en pointillés, moi qui pouvais écrire non-stop pendant des heures, lorsque j’étais increvable et mon inspiration était florissante, logorrhéique même. J’écris en alternant écriture et visionnage de séries – devant lesquelles je m’endors – chaque fois que je suis en panne d’inspiration ou en quête d’un mot qui se fait désirer.


Mais, si l’intellect est primordial, un facteur et un vecteur de sens, une échappatoire à mon immobilité et à mon isolement forcés, que serais-je sans l’amour ? Pas grand-chose. Une illusion, une ombre, un ersatz, un chant funèbre, une mélancolie atone.

Que serais-je sans elle ? L’amour est vital. L’amour que je vis, malgré l’effondrement physiologique, est indescriptible, tant il est indéfinissablement unique. J’ai connu et vécu des amours inoubliables. Mais ce qui me lie à elle est si rare qu’il serait présomptueux de penser le comprendre. Quelle est cette force qui nous unit depuis une décennie et nous grandit inexplicablement ? Elle m’émeut, me bouleverse, me ravit, me stimule et me bouscule. Elle est ma raison de vivre malgré tout, bien plus que l’écriture. Elle est mon soleil quotidien et mon espoir d’un lendemain possible. D’où vient-elle ? Qui est-elle en vérité ? Bien plus que ce qu’elle pense. Elle est tellement multiple et complexe. D’une dimension et d’une valeur humaniste inestimables. Qui la connaît vraiment ? Pas grand monde. Peut-être personne ? Tant elle est singulière et plurielle à la fois. En revanche, tout le monde croit la connaître et l’a adoptée et enfermée dans une image d’Épinal, un cliché idéaliste, alors qu’elle a tant de facettes aussi déroutantes que séduisantes, horripilantes qu’attirantes. C’est un sujet idéal pour les projections, tant son image est attrayante et séductrice, notamment sur les réseaux sociaux, aidée par sa beauté et la douceur de sa voix. À chacun son tour. J’ai assez longtemps été idéalisé.


Je l’aime, et culpabilise de la voir porter mon vieillissement délabré ou mon délabrement vieillissant. Elle, si jeune, si lumineuse et mature, si éveillée, profondément amoureuse d’une réalité astreignante et austère. L’amour peut quelquefois avoir toutes les apparences du masochisme. Pourtant, il n’y a pas plus responsable, lucide et conscient qu’elle. C’est son choix de rester sur notre radeau, auprès de moi.

C’est paradoxal de culpabiliser d’aimer et, surtout, d’être aimé. N’y a-t-il pas une part d’ambiguïté dans le tiraillement qui m’habite, à vouloir vivre le plus longtemps possible à ses côtés, même amoindri, et, en même temps, à souhaiter la libérer du poids de ma présence assujettissante et stressante ?


Comment fait-elle, qui est-elle pour continuer à m’aimer malgré ma décrépitude ? On s’est rencontrés quand j’étais encore sémillant et actif, sur tous les fronts et sur les routes, je ne suis plus qu’ensuqué et indolent. J’ai passé ma vie à me sentir de trop, il est trop tard pour changer. Je ne peux qu’accepter ce qui est, faire avec ce qui est, et être reconnaissant à la vie de m’avoir mis sur le chemin d’un tel amour. Et ce qui est, c’est qu’elle m’aime. Malgré notre enchaînement et notre réclusion circonstanciels. Elle qui a encore sa vie devant elle, alors que la mienne est déjà bien remplie.

Vieillir n’est pas toujours une sinécure mais, n’ayant pas la recette de l’élixir de jouvence, je fais contre mauvaise fortune bon cœur. Ça tombe bien, c’est justement une histoire de cœurs, ma vie.

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