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Le CCNE toujours aussi timoré


Le 13 juillet 2021, le Conseil Consultatif National d’Éthique (CCNE) a rendu son rapport à Sophie Cluzel, ministre déléguée chargée des personnes handicapées, suite à sa saisine sur le controversé sujet de « l’assistance sexuelle des personnes handicapées ».

Rien de neuf. Il est aussi timoré que celui rendu sur le même sujet par le même CCNE, en 2012. Les membres ont changé non la frilosité consensuelle.



La sagesse pusillanime


Sophie Cluzel, en février 2020, a annoncé au micro d'Europe 1 qu’elle était favorable à la mise en place de services d’accompagnement sexuel pour les personnes handicapées. Sophie Cluzel a fait le buzz. Sophie Cluzel a donc saisi le CCNE afin d’avoir son avis sur la question, plutôt que de relancer le débat à l’Assemblée nationale. Sophie Cluzel se dit être pour, mais prend son temps.

Sophie Cluzel est opportuniste, comme tout bon politique qui se respecte.

Sophie Cluzel fait parler d’elle, en sachant pertinemment que rien ne sera volonté d’ici la fin du quinquennat.

Sophie Cluzel voulait faire une opération de com' pro gouvernementale.

Sophie Cluzel a réussi haut la main, à une période où le gouvernement commençait à être chahuté par la Covid-19.

Le CCNE a d’ailleurs été retardé dans ses travaux par cette pandémie. Un retard bien anecdotique au regard des conclusions de son rapport. On change d’équipe mais on arrive aux mêmes conclusions ou presque, huit ans plus tard. On évolue à la marge, on propose des solutions cosmétiques qui arrangent les anti et bon nombre de professionnels du médico-social peu soucieux de mouiller leur chemise et de se remettre en question.


En résumé : oui, les handicapés ont le droit de vivre leur sexualité mais… (Petite précision : le droit à la sexualité, évoqué par le CCNE n’existe pas juridiquement parlant. La sexualité relève d’une liberté non d’un droit.)

Les sages ne chipotent pas sur l’importance de respecter et d’accompagner les personnes en situation de handicap dans leur besoin de vie affective et sexuelle, mais… tout est conditionné et conditionnel, tout est analysé et abordé sous l’angle de la loi sur le proxénétisme et à l’aune de l’abolitionnisme, sans la moindre nuance ou remise en question. On met en avant l’illégalité du proxénétisme mais on oublie de préciser que la prostitution est légale. On n’est pas à une contradiction près en France, surtout dans le champ de la morale.

Le rapport évoque superficiellement nos voisins belges ou suisses, en omettant de préciser qu’ils sont réglementaristes, en matière de prostitution ; d’où la reconnaissance de l’accompagnement sexuel dans des pays tels que les Pays-Bas, la Suisse, l’Allemagne ou le Danemark.


Ce rapport botte diplomatiquement en touche.

Les sages estiment, non sans raison, que la légalisation de l’accompagnement sexuel en situation de handicap relève d’un débat et d’une décision politiques, car cela nécessite au moins un aménagement de la loi sur la prostitution.

In fine, leurs recommandations n’ont rien de révolutionnaire et ne feront pas évoluer l’hypocrite situation actuelle que ne l’ont fait leurs prédécesseurs en 2012. L’accompagnement sexuel a vu le jour officiellement en 2015 dans l’Hexagone, grâce à l’Association Pour la Promotion de l’Accompagnement Sexuel (APPAS) qui s’est délibérément mise en infraction avec la loi sur le proxénétisme pour répondre aux nombreuses et légitimes demandes formulées par des personnes « handicapées », depuis des années, provoquant ainsi une situation kafkaïenne puisque, non seulement, l’association n’a jamais été inquiétée par la justice mais, de surcroît, elle a éveillé un débat sociétal et politique. Pour autant, une majorité attentiste préfère se satisfaire de ce compromis politicien plutôt que de clarifier la situation et d’assumer l’évolution des mœurs. Il est plus facile d’être légaliste que de s’opposer frontalement aux intégrismes puritanistes ou féministes.

Devant le sexe des « anges », on préfère encore et toujours se voiler la face et maintenir un statu quo indigne d’une démocratie qui se gausse d’être la patrie d’une « liberté, égalité, fraternité » de façade. Si, comme le note le CCNE fort à propos dans son rapport, « le regard de la société à l’égard du handicap a continué à évoluer », ce n’est visiblement pas le cas de ces « sages » tout autant réservés que leurs prédécesseurs, du moins majoritairement.


Sagesse puritaine


Croquignolesque, le CCNE recommande désormais un « accompagnement aux gestes du corps et de l’intimité » (pourquoi pas de l’esprit ?). Formule quelque peu sibylline, me semble-t-il, préconisant un apprentissage à la masturbation et à l’utilisation de sextoys des personnes handicapées prodigué par des professionnels du médico-social, du paramédical ou du médical. En effet, pour le CCNE, toute forme de contact entre deux corps nus, a fortiori toute forme de relations sexuelles, est inenvisageable car cela relèverait de la prostitution. Pour le CCNE, les professionnels doivent être habillés et, évidemment, dûment formés. Quid des personnes handicapées incapables de se masturber et d’utiliser des sextoys ? On n’en parle pas. Quid de celles qui veulent malgré tout vivre l’expérience d’une relation sexuelle, quitte à ce qu’elle soit tarifée, comme chez nos voisins ? On n’en parle pas.

"...à l’image d’une société qui cultive l’assistanat en essayant de le faire passer pour de l’autonomie."

En vérité, nous sommes et nous restons dans l’origine de la médicalisation et l’infantilisation des personnes handicapées, donc de la surprotection. Le constat est affligeant mais a le mérite de montrer une constante, une variable non-ajustable dans le champ des handicaps, dès lors que l’on touche au sexe. Sur ce point, si le regard sur les handicaps a évolué, ainsi que le font remarquer les « experts » du CCNE, dans le rapport rien n’a pas bougé d’un iota. Il est à l’image d’une société qui cultive l’assistanat en essayant de le faire passer pour de l’autonomie. En matière de politique du handicap, on est dans un progressisme statique.

Soyons clair, il n’a jamais été question d’imposer l’accompagnement sexuel à qui que ce soit. Celui-ci a toujours été envisagé comme une solution parmi d’autres, dont celles préconisées par le CCNE dans son rapport. L’accompagnement sexuel doit relever d’un libre choix. Or, c’est précisément ce choix que l’on s’évertue à maintenir sous cloche afin d’éviter de susciter trop de vagues émancipatrices et d’états d’âme moralistes. À bien y regarder, on est en droit de se demander qui l’on essaye de protéger de qui ? La pudibonderie médico-sociale d’un trop grand dévergondage « handicapé » ou l’inverse ? À moins que l’on se prémunisse de l’hystérie d’idéologies aussi bien-pensantes qu’intolérantes qui, au motif de défendre une communauté, en stigmatisent d’autres.


Par ailleurs, demander à des professionnels du médico-social ou du paramédical, même formés et habillés, d’assurer l’accompagnement « aux gestes du corps et de l’intimité », c’est un non-sens, une absurdité génératrice de confusion des rôles qui pourrait être nuisible à tout le monde.


Bien sûr, toutes les personnes handicapées ne peuvent pas bénéficier d’un accompagnement sexuel « classique ». Il faut en effet tenir compte des particularités de chaque type de handicap, de la spécificité de chaque personne accompagnée, du contexte et de la situation. Toutes les personnes en situation de handicap ne sont pas en capacité d’exprimer un consentement libre et éclairé mais, dans ce cas, on peut adapter l’accompagnement.


La patate chaude


En se démarquant ostensiblement de l’option iconoclaste de l’accompagnement sexuel, qui remet en question la loi sur le proxénétisme, le conservatisme puritain du CCNE se contente de circonscrire le périmètre des libertés des personnes en situation de handicap à une certaine approche du droit et de la sexualité des personnes handicapées, et de la morale par voie de conséquence.

"Il faut un réel courage politique et d’authentiques convictions humanistes pour ouvrir des brèches dans les consciences et pour bousculer des mentalités sclérosées. "

Les « sages » ne se mouillent pas, aux politiques de le faire… un jour peut-être, quand l’omnipotence de l’idéologie judéo-chrétienne et des intégrismes moralistes aura relâché la pression d’un chantage sans gloire.

La situation est hypocrite et grotesque mais personne ne veut endosser la responsabilité d’enclencher le processus de reconnaissance de l’accompagnement sexuel.

Quelle que ce soit la cause défendue, c’est l’intolérance épidermique, idéologique et tyrannique, des opposants qui freine toute évolution sociétale ; l’intégrisme est toujours régressif. Il faut un réel courage politique et d’authentiques convictions humanistes pour ouvrir des brèches dans les consciences et pour bousculer des mentalités sclérosées. Malheureusement, ce type de conscience est minoritaire, pour le moment d moins.


Je le répète, il ne s’agit pas d’être pour ou contre l’accompagnement sexuel mais de respecter la liberté de choix de tout un chacun. C’est cela la tolérance. Or, ce n’est pas avec une réponse de Normand que le CCNE risque de faire évoluer la stagnation fallacieuse actuelle.

Les partisans d’une libéralisation ou d’un assouplissement de la loi encadrant la pratique de la prostitution sont écoutés, à la marge, mais ne sont toujours pas entendus.

À quand un troisième rapport du docte CCNE ? En attendant, bon vent à l’accompagnement sexuel à la française, c’est-à-dire en toute illégalité légale ou en toute légalité illégale, puisque c’est la solution qui froisse le moins de monde.


Et vive les droits de l’homme et du citoyen au rabais !




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