Associations

Liberté, mon amour
Je suis soulagé. Vraiment soulagé. Je n’ai absolument aucun regret d’avoir définitivement tourné la page des engagements associatifs. Je suis libre. J’aurais même dû partir plus tôt.
C’est à la fois un paradoxe et une contradiction d’avoir milité près de quarante années dans le milieu associatif. Je dirais même que c’était contre nature. Je n’étais pas fait pour ce microcosme œcuménique autour duquel j’ai gravité par calcul et intérêt commun ; la raison a toujours prévalu chez moi sur mes inclinations naturelles d’électron libre. Car c’est incompatible avec la « culture » associative, un électron libre. C’est même quelquefois passablement irritant et dérangeant. À tel point que certaines associations – plus exactement, leurs dirigeants et leurs affidés – ayant pignon sur rue ne m’ont jamais trop aimé : pas assez soumis, ni assez consensuel à leur goût… mais si efficace qu’il était parfois difficile de s’en passer.
Une association est censée être un organisme à visée humanitaire, humaniste et solidaire, et à but non lucratif, mais seuls les plus angéliques, ou les plus naïfs, arrivent encore à s’en convaincre ou à le faire croire. Dans les faits, une association, c’est fréquemment une ratatouille d’une hétérogénéité incongrue, un patchwork d’egos plus ou moins en surpoids, de dilettantisme et de rapports de force.
Originellement, pour nombre d’entre elles, elles étaient fondées sur des valeurs judéo-chrétiennes gorgées de bons sentiments, de bonnes intentions et une charité infantilisante. « Charité bien ordonnée commence par soi-même », est un proverbe collant à ce milieu qui, bien que s’étant ostensiblement laïcisé ces dernières décennies, reste très imprégné par un misérabilisme frelaté et un communautarisme sectaire, spécialement dans la sphère de l’aide à la personne.
Il va de soi que ce qui m’occupe ici, c’est ce que je connais et que j’ai longuement expérimenté sous tous les angles : les associations de défenses des personnes en situation de handicap ou de dépendance. Ces associations, pour la plupart gémonies, qui pratiquent allègrement le mélange des genres et le double langage, parce que tributaires de substantielles subventions étatiques. C’est ce milieu que je suis soulagé d’avoir quitté. Cependant mon expérience a été suffisamment marquante et porteuse d’enseignements pour m’avoir ôté toute envie de m’engager à nouveau dans quelque association que ce fût, même de défense des papillons ou des ornithorynques, Pourtant j’aime les papillons et les ornithorynques.
J’ai fait le tour du militantisme associatif, et j’en suis revenu. Je l’ai fait en raison de mon sens aigu de l’intérêt commun, lequel n’a bien sûr rien à voir avec le fléau du communautarisme. Ma sensibilité à l’intérêt commun s’explique par un sens exacerbé, voire pathologique peut-être, de la justice et de son corollaire l’injustice. Je reviendrai peut-être dans un autre billet, à mon insubmersible sens de la justice, car c’est toute une histoire mon rapport à la justice/injustice.
Néanmoins, j’admets que, hormis les multiples coups, camouflets, humiliations et autres trahisons que j’ai encaissés, j’ai fabuleusement pris mon pied à jouer la mouche du coche, l’empêcheur de tourner en rond, le décapant et le précurseur audacieux, face aux gouvernements que j’ai affrontés et à ces associations dominatrices qui préfèrent la calculette dans la tête plutôt que du cœur à l’ouvrage.
Charité, mon amour
Mes méthodes n’ont jamais respecté l’orthodoxie de mise, en vigueur ou de rigueur de ce microcosme « bienveillant » et bien-pensant. Il n’empêche, elles se sont montrées redoutablement efficaces dans ce milieu hypocritement feutré et consensuel jusqu’à la compromission parfois. L’expérience m’a appris que, sans conteste, on ne peut pas être au four et au moulin, prétendre à l’objectivité lorsque l’on défend d’une main les « pauvres handicapés » et que l’on gère de l’autre un Monopoly institutionnel. Comment peut-on se présenter comme une association de défenses des droits des personnes vulnérables et dépendantes, quand on nage dans l’incohérence jusqu’à l’absurde, en courant derrière la rentabilité de présumées « maisons d’accueil spécialisé », au détriment des susdites personnes vulnérables. Charity business quand tu nous tiens !
Si encore la qualité était au rendez-vous. Mais ce n’est pas le cas dans de nombreux établissements appartenant, notamment, à ces mammouths associatifs ayant leurs entrées dans les ministères. Je l’ai constaté à maintes reprises. À en être profondément traumatisé dans certains cas extrêmes.
L’assistanat est un drame humain, banal et stigmatisé sous nos latitudes ; il choque encore qui en vérité, ce drame ? C’est pratique et docile, un objet de soins bien conditionnés et infantilisés. C’est un sacré marché humanitaire. Toutefois, il ne faut surtout pas le dire. Ce serait un crime de lèse-majesté. Certes, au milieu des brebis galeuses et des moutons, j’ai croisé nombre de gens exceptionnels, faisant au mieux malgré une pénurie de moyens et de personnels compétents.
En conclusion, une association, qui se dit défendre les droits de ses adhérents, ne devrait pas gérer des établissements : la confusion des rôles est toujours nocive et contre-productive. D’autant que l’on met complaisamment un mouchoir sur sa conscience pour ne pas voir ce qui dérange dans ces structures médico-sociales, tout en jouant à l’avocat (du diable) en au haut-lieu avec une tartufferie confondante. J’exagère ? J’aimerais beaucoup.
Association, mon amour
Qu’est-ce que je suis soulagé d’avoir pris mes distances avec le monde associatif ! J’étais prévenu, pourtant, j’ai fondé deux associations et j’ai été à l’origine d’une troisième. J’ai démissionné des trois. La première, en raison de conflits d’intérêts. La seconde, en raison de conflits politiques. La troisième, en raison de conflits internes.
Je suis très fier de la Coordination Handicaps et Autonomie (CHA). L’association crainte et reconnue pendant cinq ans par les gouvernements au pouvoir, puis respectée après le changement de présidence et de politique interne. En effet, les vieux militants dans l’âme ont pris de l’âge et sont abîmés par les conséquences de leur handicap, quand ils ne sont pas morts, or ils avaient une expertise indéniable.
Cette association unique en son genre depuis sa création est gérée par des personnes en situation de handicap possédant une connaissance et des facultés intellectuelles respectées, voire recherchées, dans leur champ de compétence spécifique : la grande dépendance, le droit et la politique. Elles avaient la foi, l’audace, la détermination, la solidarité, le grain de folie et les capacités cognitives indispensables pour être écoutées et surtout entendues dans une société qui sous-estime les « handicapés ».
Tout était parti de mon bras de fer mémorable avec Ségolène Royal, alors ministre déléguée à la Famille, à l’Enfance et aux Personnes Handicapées. Une partie d’échecs politique qui me valut d’être traité d’irresponsable, d’inconscient et d’une ribambelle d’autres jolis petits noms d’oiseaux, de la part de responsables des susdites « grandes associations » qui vilipendaient mes méthodes « suicidaires » et « stupides » d’électron libre. Jusqu’au jour où le vent a tourné et où, comprenant que j’allais gagner la partie tout seul ou presque, obtenant ce qu’elles n’avaient jamais obtenu avec leurs négociations en gros sabots consensualistes et opportunistes, elles se sont rapprochées de moi et m’ont proposé un partenariat.
Le ministère nous a finalement annoncé, le 11 mars 2002, une subvention mensuelle conséquente qui deviendra la PCH dans la loi du 11 février 2005 ; une avancée significative, révolutionnaire même, en matière d’accompagnement médico-social à domicile. J’avais offert une leçon de stratégie citoyenne et politique à des associations relativement despotiques. Partant, devant l’efficacité de mes camarades et moi, ces deux « mastodontes », ravalant leur orgueil, m’ont proposé de financer la coordination, ayant compris l’intérêt double à soutenir, d’une part, notre expertise unique alors dans la grande dépendance et, d’autre part, nos actions revendicatives non-conformistes.
De 2002 à 2009, j’ai vécu une période militante exaltante grâce au noyau soudé qui s’était formé autour de moi, des personnes majoritairement en situation de dépendance, voire de grande dépendance, et des « valides » tout aussi investis dans la cause. En quatre ou cinq ans, nous avons chamboulé l’accompagnement à domicile par des manifestations « coups de poing », des « opération commando » non-déclarées à la préfecture et faites à l’improviste. On nous craignait tellement au ministère de tutelle, qu’un jour le ministre m’a appelé, tandis que je roulais vers Paris, pour me supplier d’annuler notre manifestation. Ce jour-là, nous avons obtenu gain de cause avant même d’être montés sur le ring.
Avec une dizaine de personnes en fauteuil roulant électrique et quelques valides (des proches et des aidants professionnels), nous bloquions la rue du Faubourg Saint-Honoré. Nos méthodes de guérilla et nos argumentations très étayées, nous ont permis, en quelques mois, d’arracher plusieurs décrets, arrêtés et autres circulaires. Lorsqu’on s’attaquait à un dossier, on craignait nos stratagèmes hérétiques dans ce milieu feutré qui s’affronte à coups de Jarnac, de fleurets mouchetés et de faux-semblants ; on nous prenait systématiquement très au sérieux car on savait que nous étions ingérables.

Je pense que nous aurions pu obtenir d’autres avancées législatives si nous avions eu les ressources financières et humaines nécessaires. Entre autres pour embaucher une ou deux personnes à temps plein. Les membres de l’association avaient beau être très investis, ils n’étaient pas moins des bénévoles ayant de nombreuses contraintes et des obligations. Dès 2005, nous commencions d’ailleurs à être débordés par nos succès politiques et notre reconnaissance médiatique. En effet, durant quelques années, la CHA fut un sujet porteur dans les médias. Dans ce contexte, employer des personnes ayant des aptitudes spécifiques, eût été un apport inestimable pour la CHA. Celle-ci fut une belle histoire de convictions, de solidarité, d’amitiés, d’affinités et de connivences, expliquant son efficacité fluide. C’était l’addition de compétences complémentaires, grâce à des personnes soi-disant handicapées particulièrement cultivées. Après mon départ, l’association s’est focalisée sur des activités de conseil et de soutien aux personnes ayant maille à partir avec l’administration, et sur le sujet de la pairémulation.
J’enfourchai une énième cause en 2005, celle de l’accompagnement sexuel. Ce faisant, je suscitai le rassemblement de plusieurs associations, dont celles déjà impliquées dans la CHA. Ce faisant, j’ai fait sortir ce sujet tabou de l’alcôve des sachants pour l’exposer en plein jour et induire un débat ouvert aux intéressés laissés à l’écart jusque-là ; suscitant par la même occasion une réflexion sociétale. Bien sûr, cela n’a pas loupé : les intégristes de tous poils sont montés sur leurs grands chevaux, ce qui était de bon augure.
De cet engagement est né, en 2007, le Collectif Handicaps et Sexualités (CHS). Ensuite, en 2011, l’association CH(S)OSE. J’étais pressenti pour être président de cette dernière mais, ayant froissé une des « poids-lourds associatifs » membre et financier du mouvement, dans un billet d’humeur publier sur mon blog de l’époque, je fus relégué à la vice-présidence ; ce qui m’indifféra totalement.
Effectivement, j’en avais ras-le-bol de la stagnation de la situation à cause de la pusillanimité des « associations hégémoniques » qui freinaient des quatre fers et de toute leur mauvaise foi hypocrite afin de retarder la mise en œuvre de l’accompagnement sexuel, cantonnant nos réunions informelles à de la rhétorique stérile et du bla-bla creux.
J’ai donc démissionné. Je ne suis pas adepte de la compromission et je ne vends pas mon âme.
Bénévolat, mon amour
À peine deux ans après ma démission – bien qu’ayant juré qu’on ne m’y reprendrait plus –, j’ai fondé l’Association Pour la Promotion de l’Accompagnement Sexuel (APPAS), avec la volonté de mettre en place l’accompagnement sexuel, bien qu’étant en illégalité avec la loi sur le proxénétisme.
Originellement, c’est une équipe de passionnés et de convaincus, prêts à être en infraction avec la loi qui m’a rejoint ; ce que les « grandes associations » n’ont jamais osé faire jusqu’alors. Toute ma vie, j’ai adoré aller à contre-courant, être un précurseur, un rassembleur et un emmerdeur.
La première formation à l’accompagnement sexuel eut lieu en mars 2015, après qu’elle fût reconnue légale par le TGI de Strasbourg, lors d’un référé. Dans la foulée, les premiers accompagnements sexuels de l’Hexagone furent réalisés. Le tout, copieusement médiatisé sous l’œil impavide de la justice et du gouvernement en place. Il va de soi que les couardes « associations dominantes », surtout l’une d’entre elles, nous ont emboîté le pas deux ans plus tard, après que nous ayons suffisamment défriché le terrain.
En quatre ans, nous avons formé plus de quatre-vingts personnes à l’accompagnement sexuel, eu des centaines de demandes et pu répondre favorablement à un tiers environ d’entre elles. Pari largement tenu donc, confirmant qu’il faut toujours oser s’opposer à l’injustice, la démagogie et l’intolérance.
Hormis, les quatre premières années intenses et exaltantes, pour moi, le reste ne fut qu’une gestion horripilante et épuisante de susceptibilités infantiles, de luttes intestines puériles, de mesquineries, de petitesses et de laxisme, fruits des perversions du bénévolat. Ce fut d’autant plus infernal que nous étions débordés par un succès tel que les plus investis étaient écrasés par la charge de travail.
Travailler avec des bénévoles, c’est du masochisme contre-productif. C’est une perte considérable de temps et d’énergie. Une désillusion permanente. Je me suis débattu avec des gamins capricieux et égoïstes. Partant, rien n’est plus fragile et instable qu’une association ne dépendant que de bénévoles. C’est une gageure pour une association de dépendre uniquement du bénévolat alors qu’elle porte une cause nationale ; de surcroît, une cause qu’aucun organisme ne tient vraiment à subventionner du fait de son infraction avec la loi.
Les bénévoles sont incontrôlables car… ils sont bénévoles. Un contrat moral dépend d’une éthique à géométrie variable, c’est-à-dire aléatoire et lunatique. Il ne suffit pas de s’engager la main sur le cœur, plein de bonnes intentions et de projets prometteurs pour le déploiement de l’association, encore faut-il assurer une fois que l’on a des responsabilités. Des beaux parleurs, des donneurs de leçons et des mégalomanes dithyrambiques, plein d’enthousiasme, d’éloge et de buts alléchants, j’en ai vu défiler, avant que la baudruche ne se dégonfle en quelques mois. Des personnes compétentes, désintéressées, altruistes et fiables, ayant d’authentiques convictions militantes, sont nettement plus rares.
Ainsi, c’est effarant, le nombre de femmes qui ont postulé en m’encensant à profusion pour, au final, claquer la porte pour des raisons mystérieuses ou fallacieuses fleurant bon l’ego froissé. Hélas, les bons sentiments ne font pas de bons bénévoles, ni la bonne volonté. Toutes choses qui définissent pourtant la majorité des bénévoles animés par un esprit de boy-scout et de charité chrétienne.
En fait, nonobstant l’engagement non-contractuel, l’autre perversion du système découle de la gratuité – l’essence même du bénévolat : offrir de son temps libre à une « bonne cause » pour se sentir utile et voir du monde. Mais il n’y a pas de rigueur, peu de sens des responsabilités et des contraintes exigées par un engagement associatif. Ce genre de bénévoles est un véritable boulet. Non seulement, c’est un boulet mais également un poison, lorsque l’association se mue en PME. Ce qui fut le cas de l’APPAS.
Et dire qu’il y en a qui se gausse de travailler gratuitement. La gratuité n’existe pas, c’est un concept judéo-chrétien pour les gogos. Soit on le fait par plaisir, soit on ne le fait pas, mais on ne fait rien sans un retour, de quelque ordre que ce soit.
J’ai fait du bénévolat par plaisir. Quand je n’avais plus de plaisir, je tirais ma révérence. Rester à contrecœur, c’était du masochisme. J’ai aussi fait du bénévolat guidé par la raison : soit j’en faisais afin de réaliser mon objectif, soit je renonçais à celui-ci. Il y avait également de l’altruisme dans mes engagements associatifs, un côté grand seigneur, mitonné de Zorro et de Robin des bois, défendant les opprimés « handicapés » contre les injustices sociales. L’injustice, ma muleta, m’aura fait relever les défis les plus improbables. Heureusement, je n’ai écouté que moi.
À l’APPAS, les deux dernières années, les personnes sur lesquelles je pouvais me reposer les yeux fermés, je les comptais au mieux sur les doigts d’une main. Ça me minait nerveusement et moralement. Je suis parti sans regret. L’association n’était plus qu’un radeau ingouvernable à cause de tensions devenues constantes, d’un amateurisme omniprésent et de rapports de force continuels. En plus, je suis parti dégoûté par le comportement égoïste et infantile de nombreux assistés du handicap, pour ne pas dire des handicapés pur jus, s’offusquant de devoir exonérer une adhésion annuelle de 10 € afin de pouvoir être accompagné sexuellement. J’en avais marre de me battre pour des assistés.
La boucle est bouclée désormais.
Je suis sorti essoré, dépité et désabusé, par cette expérience. Convaincu qu’un association ne peut raisonnablement s’encombrer d’amateurisme et de dilettantisme, sans se mettre en danger et trahir ses adhérents. Tout travail mérite salaire et tout engagement contractualisé est le gage d’un minimum de sérieux et d’investissement de la part des postulants. Le bénévolat devrait être une exception, et encore, ça ne devrait plus exister aujourd’hui.
Si, à l’APPAS, la solidarité et l’investissement avaient été équivalents à celui des membres de la CHA, elle aurait pu renverser des montagnes. L’APPAS n’était plus que du sable mouvant lorsque j’ai démissionné.
Je suis parti pour me préserver, retrouver du sens à ma vie, lassé de me battre contre des moulins à vent, contre l’hypocrisie de certains, les caprices et les susceptibilités d’autres, l’arrivisme parfois, la naïveté souvent et un certain cynisme.
Je n’ai pas de compte à régler, j’ai juste de la tristesse. Je suis triste mais soulagé d’avoir pris mes distances avec un milieu qui n’est pas ma culture.

Remerciements :
Mimi, Anne-So, Jean-Pierre, Martine, Mika, Pascal, Nadine, Akim, Bruno et Jill, merci de m’avoir fait confiance et d’avoir soutenu mes folies très réfléchies.